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La négociation collective dans les entreprises pourvues d’un seul délégué syndical catégoriel : une impasse ?

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Louise PEUGNY

MGG VOLTAIRE

La négociation collective dans les entreprises pourvues d’un seul délégué syndical catégoriel n’est pas chose aisée, en particulier lorsque la négociation concerne l’ensemble des catégories professionnelles. La négociation peut-elle en effet se dérouler avec le seul délégué syndical catégoriel quand bien même ce dernier n’a vocation à représenterqu’une partie des salariés ? L’accord intercatégoriel peut-il être négocié et conclu avec les élus, à l’exclusion du délégué syndical ?

 

Autant de questions qui, à l’heure actuelle, ne sont pas tranchées par la Cour de cassation.

 

Une clarification de la jurisprudence serait néanmoins opportune : même si plusieurs options sont en pratique envisageables, aucune n’est totalement satisfaisante.

 

Option 1 : Négocier avec les élus du CSE (ou des salariés mandatés) sur le fondement des articles L. 2232-24 et suivants du Code du travail

 

Les articles L. 2232-24 et suivants du Code du travail fixent les modalités de la négociation collective avec les élus du CSE ou des salariés mandatés dans les entreprises dont l’effectif habituel est au moins égal à 50 salariés.

 

L’employeur pourrait être tenté de contourner la difficulté liée à la présence d’un seul délégué syndical CFE-CGC en engageant directement une négociation avec les élus sur le fondement de ces dispositions.

 

Cette option est néanmoins fragile juridiquement. La négociation dérogatoire est en effet réservée aux entreprises dépourvues de délégué syndical. L’article L. 2232-24 vise expressément l’absence de délégué syndical et fait partie d’une sous-section 3 intitulée « Modalités de négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical ou de conseil syndical ». Stricto sensu, ces dispositions ne devraient donc pas pouvoir trouver application.

 

Au demeurant, écarter le délégué syndical catégoriel des négociations reviendrait à annihiler purement et simplement le pouvoir de négocier et signer les accords collectifs dont il est légalement investi de par sa désignation.

 

L’employeur qui retiendrait cette option serait ainsi confronté au risque (sérieux) que l’accord soit annulé au motif que le délégué syndical n’a pas été convié à la négociation.

 

Option 2 : Négocier avec le seul délégué syndical CFE-CGC

 

Une deuxième option pourrait consister à négocier et conclure l’accord collectif inter-catégoriel avec le seul délégué syndical CFE-CGC.

 

Cette solution reviendrait néanmoins à remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle un syndicat représentatif catégoriel ne peut pas négocier et signer seul un accord d’entreprise intéressant l’ensemble du personnel, quand bien même son audience électorale, rapportée à l’ensemble des collèges électoraux, est supérieure à 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel (Cass. Soc. 2 juillet 2014, n° 13-14.622).

 

Il pourrait certes être mis en avant le fait que cette jurisprudence ne se conçoit que pour les accords susceptibles de concerner le statut collectif des salariés (durée du travail, APLD, égalité professionnelle entre les femmes et les hommes….) et non les accords qui ont trait à la représentation du personnel (accord de droit syndical, accord relatif à la mise en place du CSE…). La jurisprudence n’a cependant jamais consacré à ce jour cette distinction en fonction de l’objet de l’accord.

 

Cette option soulève par ailleurs la question de son articulation avec les nouvelles règles de validité des accords collectifs fixées par l’article L. 2232-12 du Code du travail. Faut-il rapporter l’audience électorale de la CFE-CGC à l’ensemble des collèges électoraux pour déterminer le seuil de 50 % ? L’accord pourrait-il être validé par référendum si l’audience électorale de la CFE-CGC, tous collèges confondus, est inférieur à 50 % mais supérieur à 30 % ?

Option 3 : négocier avec le délégué syndical CFE-CGC et les élus du CSE


Une voie médiane (mais non la plus simple) pourrait consister à négocier avec le délégué syndical CFE-CGC ainsi qu’avec des élus ou des salariés mandatés, lesquels représenteraient les salariés non-cadres.

 

Cette solution est guidée par le fait que le délégué syndical CFE-CGC n’est habilité à négocier que pour le compte des cadres et que les non-cadres sont de fait dépourvus de négociateur syndical. L’employeur serait alors autorisé à engager une négociation avec des élus ou des salariés.

 

Si cette solution a le mérite de préserver les prérogatives du délégué syndical tout en assurant une représentation des salariés non cadres, elle présente de nombreux écueils :

 

  • quid du déroulement de la négociation et des conditions de validité de l’accord qui serait négocié à la fois avec le DS CFE-CGC et des élus (mandatés ou non) ou des salariés mandatés ?  On pourrait d’ailleurs se poser la question de savoir si cet accord présenterait toujours la nature d’un accord collectif de droit commun ou s’il ne suivrait pas le régime juridique des « accords atypiques » ;

  • la solution qui consisterait à négocier deux accords séparés (un accord catégoriel avec le DS CFE-CGC et un accord applicable aux autres catégories de salarié, négocié avec des élus – mandatés ou non – ou des salariés mandatés) ne résoudrait pas toutes les difficultés puisque le DS CFE-CGC aurait vocation à participer à la négociation de l’accord inter-catégoriel. Par ailleurs, si une telle solution peut se concevoir s’il s’agit de négocier des mesures relatives à la durée du travail, elle ne semble pas pertinente si l’objet de l’accord porte sur des mesures communes à l’ensemble des salariés, sauf à signer deux accords dont le contenu serait identique (étant néanmoins précisé que la coexistence de deux accords au contenu identique mais au régime juridique différent pourrait soulever d’autres difficultés…).

 

Au regard de ces nombreux questionnements, la position de la jurisprudence est attendue avec intérêt. La situation n’est en effet pas rare en pratique et il est important de pouvoir sécuriser le sujet au regard des conséquences que pourrait entraîner l’annulation de certains accords collectifs (on songe notamment aux accords sur la durée du temps de travail, aux accords de performance collective…).

 

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