Par une décision du 11 juin 2025, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a sanctionné plusieurs entreprises des secteurs du numérique, de l’ingénierie et du conseil technologique pour avoir mis en œuvre des accords généraux de non-débauchage, prohibés au titre du droit des ententes. Ces pratiques, qualifiées d’ententes par objet, ont donné lieu à des sanctions pécuniaires pour un montant total de 29,5 millions d’euros.
- Un tournant dans la prise en compte des ressources humaines comme paramètre de concurrence
Traditionnellement centré sur les prix, les volumes ou la répartition de clientèle, le droit de la concurrence intègre désormais les ressources humaines comme un véritable levier concurrentiel. L’ADLC rappelle que les articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 TFUE interdisent les accords entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet de restreindre ou fausser le libre jeu de la concurrence.
Dans cette perspective, les accords de non-débauchage, qui restreignent la mobilité des salariés, peuvent être jugés illicites dès lors qu’ils ne sont ni justifiés par un objectif légitime, ni proportionnés dans leur portée.
- Des accords de non-débauchage généralisés et injustifiés
Deux pratiques distinctes, entre sociétés concurrentes, ont été sanctionnées :
– Un gentlemen’s agreement interdisant mutuellement le recrutement de leurs commerciaux et managers (Grief n°1) ;
– Un second accord incluant à la fois des clauses de non-sollicitation insérées dans des contrats de partenariat et un accord informel de non-débauchage (Grief n°2).
Ces accords visaient à interdire tout recrutement, y compris via des candidatures spontanées, et étaient dépourvus de toute limite de durée ou de périmètre. Ils concernaient des salariés à fort enjeu stratégique, comme les business managers, ingénieurs, sous-traitants ou intérimaires.
L’Autorité y voit des mécanismes de répartition de sources d’approvisionnement sur le marché amont de l’emploi, et retient leur caractère anticoncurrentiel par objet, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de démontrer un effet concret sur le marché.
- Clauses de non-sollicitation : admises sous conditions strictes
Un troisième grief, portant sur des clauses de non-sollicitation insérées dans des contrats de partenariat ou de sous-traitance, a été écarté. L’Autorité a jugé ces clauses justifiées et proportionnées, car elles :
– Ne visaient que les salariés directement impliqués dans le projet objet du contrat ;
– Étaient limitées dans le temps (durée du contrat + 12 mois maximum).
Ces clauses visaient donc à préserver temporairement la stabilité d’une équipe projet, sans empêcher durablement la mobilité des collaborateurs. L’ADLC précise toutefois que cette appréciation est strictement contextuelle : des clauses trop générales ou excessivement longues pourraient, dans d’autres cas, être qualifiées d’ententes anticoncurrentielles (§586).
- Pas de limite aux seuls concurrents directs
Si les ententes sanctionnées ont été conclues entre concurrents, l’Autorité rappelle qu’une telle relation n’est pas indispensable pour qu’une pratique de non-débauchage soit illicite.
Ces pratiques peuvent tout à fait relever d’une entente verticale, par exemple entre clients et fournisseurs ou entre un donneur d’ordre et son sous-traitant, notamment lorsque des clauses de non-sollicitation réciproques visent à empêcher ce dernier de recruter chez le premier – alors même que ce sont principalement ses propres équipes qui exécutent le projet.
Dans ce contexte, l’ADLC invite à une vigilance renforcée sur les clauses RH au sein des chaînes de sous-traitance.
- Une méthode de sanction inédite fondée sur les masses salariales
Autre évolution importante : pour fixer le montant des sanctions, l’Autorité a retenu une assiette fondée non pas sur le chiffre d’affaires, mais sur les dépenses de personnel liées aux catégories de salariés concernés (§750, §756).
Elle relève à cet égard que les pratiques de non-débauchage affectent « les travailleurs, dont les perspectives de mobilité et d’amélioration des conditions de travail vie ont pu être affectées. » (§771).
Cette approche vise à mieux refléter l’impact réel des pratiques sur le marché de l’emploi, et marque un tournant dans la manière d’appréhender les atteintes à la concurrence dans le champ RH.
Ce qu’il faut retenir :
–Les accords de non-débauchage sont interdits s’ils ne sont pas strictement encadrés, justifiés et proportionnés.
–Les clauses de non-sollicitation doivent être limitées à un projet précis, dans le temps et quant au personnel visé.
-Le risque existe même en dehors d’une relation concurrentielle directe.
-Les sanctions peuvent être lourdes, avec une base de calcul fondée sur les masses salariales affectées.
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