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La durée excessive d’une procédure pénale ne justifie pas à elle seule son annulation, et pourtant…

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Aux termes d’un arrêt du 9 novembre 2022 (n°21-85.655), la Chambre criminelle de la Cour de cassation, en sa formation plénière, , considère que sur le fondement des articles 6 § 1 de la CESDH, préliminaire et 802 du Code de procédure pénale, « la durée excessive d’une procédure ne peut aboutir à son invalidation complète, alors que chacun des actes qui la constitue est intrinsèquement régulier », confirmant ainsi sa jurisprudence antérieure (notamment : Crim., 3 février 1993, pourvoi n° 92-83.443, Bull. crim. 1993, n° 57 ; Ass. plén., 4 juin 2021, pourvoi n° 21-81.656).

La Haute juridiction entend ainsi mettre fin à un mouvement de juges du fond apparu entre-temps, dont au début de l’année 2022, qui, sur la base de critères posées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (à savoir la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des « autorités »), rappelaient notamment que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable participait du procès équitable qui garantissait les droits de la défense et considéraient ainsi que la méconnaissance d’un tel droit pouvait donner lieu à l’annulation d’actes de procédure pénale et à la fin des poursuites à ce titre.

 

Pour justifier sa position, elle rappelle que « plusieurs mécanismes de droit interne répondent aux exigences conventionnelles :

 

  • Tout d’abord, au stade de l’information, les articles 221-1 à 221-3 du code de procédure pénale permettent aux parties, sous certaines conditions, et au président de la chambre de l’instruction qui, en vertu de l’article 220 du même code, s’emploie à ce que les procédures ne subissent aucun retard injustifié, de saisir cette juridiction, qui, après évocation, peut poursuivre elle-même l’information, ou la clôturer ou la confier à un autre juge d’instruction ;

 

  • Ensuite, en vertu de l’article 175-1 du même code, une partie peut demander au juge d’instruction la clôture de l’information ;

 

  • Enfin, l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire prévoit la possibilité, pour la partie concernée, d’engager la responsabilité de l’Etat à raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice, en particulier en cas de dépassement du délai raisonnable (1re Civ., 4 novembre 2010, pourvoi n° 09-69.955, Bull. 2010, I, n° 219) ».

Autrement dit, elle renvoie à la personne mise de cause le soin de tenter de faire accélérer la procédure pénale engagée à son encontre… (ce qui peut également être, à tout le moins, compliqué notamment en matière d’enquête pénale lorsque la personne mise en cause n’a pas accès à l’intégralité du dossier pénal), ou d’engager une procédure judiciaire – qui peut aussi être longue… – aux fins d’obtenir une éventuelle indemnisation pouvant être allouée a posteriori en cas de durée excessive de cette procédure pénale.

Toujours dans son arrêt du 9 novembre 2022, la Cour de cassation précise que « doit être maintenu le principe selon lequel la méconnaissance du délai raisonnable et ses éventuelles conséquences sur les droits de la défense sont sans incidence sur la validité des procédures. Par conséquent, la juridiction de jugement qui constate le caractère excessif de la durée de la procédure ne peut se dispenser d’examiner l’affaire sur le fond. Dans cet office, elle dispose de plusieurs voies de droit lui permettant de prendre cette situation en compte.

  • Tout d’abord, il lui appartient, en application de l’article 427 du code de procédure pénale, d’apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui lui sont soumis et sont débattus contradictoirement devant elle. Elle doit, à ce titre, prendre en considération l’éventuel dépérissement des preuves imputable au temps écoulé depuis la date des faits, et l’impossibilité qui pourrait en résulter, pour les parties, d’en discuter la valeur et la portée. Ainsi, elle doit appliquer le principe conventionnel selon lequel une condamnation ne peut être prononcée sur le fondement d’un unique témoignage émanant d’un témoin auquel le prévenu n’a jamais été confronté malgré ses demandes. Le dépérissement des preuves peut, le cas échéant, conduire à une décision de relaxe.

  • Ensuite, selon le dernier alinéa de l’article 10 du code de procédure pénale, en présence de parties civiles, lorsqu’il constate que l’état mental ou physique du prévenu rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d’exercer sa défense, le juge peut, d’office ou à la demande des parties, décider, après avoir ordonné une expertise permettant de constater cette impossibilité, qu’il sera tenu une audience pour statuer uniquement sur l’action civile, après avoir constaté la suspension de l’action publique et sursis à statuer sur celle-ci.

  • Enfin, dans le cadre de l’application des critères de l’article 132-1 du code pénal, le juge peut déterminer la nature, le quantum et le régime des peines qu’il prononce en prenant en compte les éventuelles conséquences du dépassement du délai raisonnable et, le cas échéant, prononcer une dispense de peine s’il constate que les conditions de l’article 132-59 du code pénal sont remplies ».

Ainsi, la Haute juridiction renvoie la prise en compte de la durée excessive d’une procédure pénale à un débat au fond devant le juge pénal pour apprécier la responsabilité de la personne mise en cause et, le cas échéant, les sanctions pénales à retenir, alors que justement cette durée excessive mériterait d’être débattue avant toute défense au fond, dès lors qu’elle peut conduire, entre autres, à ne pas permettre à cette personne mise en cause de réunir des pièces ou témoignages pouvant l’exonérer de sa responsabilité pénale.

Dans l’espèce, objet de l’arrêt précité du 9 novembre 2022, il s’agissait notamment de faits de corruption qui étaient recherchés dans le cadre d’une procédure pénale ayant duré près d’une vingtaine d’années avant la saisine du Tribunal correctionnel de Nanterre (affaire dite « de la chaufferie de La Défense »).

 

La Cour d’appel, confirmant le jugement de ce tribunal qui avait annulé l’ensemble de la procédure d’enquête et d’information, avait également retenu que le délai déraisonnable de cette procédure avait empêché :

  • certains mis en cause, qui n’en avaient plus la capacité physique et intellectuelle, de participer à leur procès, de suivre les débats et de les commenter, de vérifier l’exactitude de leurs moyens de défense et de les comparer aux déclarations des autres prévenus, victimes ou témoins, d’être confrontés à ceux-ci et d’exercer de manière effective les droits de la défense, ces manquements ne pouvant être compensés par la représentation des prévenus par leur avocat à l’audience, et que les faits de corruption, abus de biens sociaux et recel d’abus de biens sociaux ne pouvant être débattus contradictoirement à l’audience, les intéressés se verraient privés de leur droit à un procès équitable,

 

  • et si un autre mis en cause était capable d’assister à son procès, il ne pouvait répondre des infractions qui lui étaient reprochées en l’absence des autres prévenus, qu’il lui appartenait de se défendre seul sur l’ensemble des faits, y compris sur des questions pour lesquelles il ne pouvait s’expliquer en lieu et place des personnes concernées, que n’étant pas en mesure de répondre utilement aux déclarations de certains témoins avec lesquels il n’avait pas eu le moindre échange, il devait réfuter les accusations portées à l’encontre de chacun des trois autres prévenus sans pouvoir leur être confronté et en étant privé de toute possibilité de voir corroborer ses déclarations,

 

Arguments qui n’ont finalement pas convaincu la Cour de cassation.

 

Or, il n’est pas rare que les procédures pénales soient longues, à l’inverse de l’examen « médiatique » de certaines d’entre elles, de sorte que la question du respect des droits de la défense demeure en la matière.

 

https://www.courdecassation.fr/decision/636b6f82855dbedcd19045ab

 

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