Par une décision en date du 17 janvier 2024 (pourvoi n°23-40.014), la Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Les faits ayant conduit à cette demande de QPC sont les suivants : afin de procéder au renouvellement de la délégation du personnel au CSE d’un établissement, une société a conclu un protocole préélectoral, dont il résultait que le collège employés et ouvriers était composé de 14,14% de femmes et de 85,86% d’hommes, étant précisé que 5 sièges étaient à pourvoir.
Lors du premier tour, le quorum n’a pas été atteint, de sorte que, dans la perspective du second tour, le syndicat FO a présenté dans le collège employés et ouvriers une liste incomplète tant pour les titulaires que pour les suppléants, comportant la candidature d’une seule femme, laquelle a été déclarée élue titulaire.
Le syndicat des commerces et services a saisi le Tribunal judiciaire de Dijon, le 10 juillet 2023, d’une demande d’annulation de l’élection de cette élue, en application de l’article L. 2314-32 du Code du travail, au motif que la liste sur laquelle elle figurait aurait dû comporter au moins un représentant de chaque sexe.
La société a par la suite sollicité que soit transmise à la Cour de cassation la QPC suivante : « L‘article L. 2314-30 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, tel qu’interprété par la Cour de cassation, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment à la liberté syndicale, au droit à l’éligibilité aux institutions représentatives du personnel qui découle du principe de participation des travailleurs, consacrés par les sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et au principe d’égalité, en ce qu’il interdit aux seules organisations syndicales de présenter aux élections professionnelles, lorsqu’au moins deux sièges sont à pourvoir au sein d’un collège électoral, une liste comportant un candidat unique ? ».
Par jugement en date du 18 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Dijon, en sa formation contentieux des élections professionnelles, a transmis cette QPC à la Cour de cassation.
La Haute juridiction relève d’abord que la disposition contestée s’applique bien au litige, dans la mesure où l’article L. 2314-30 du Code du travail vise les « organisations syndicales qui doivent, au premier tour pour lequel elles bénéficient du monopole de présentation des listes de candidats et, par suite, au second tour, constituer des listes qui respectent la représentation équilibrée des femmes et des hommes et ne s’appliquent pas aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-60.222, publié ; Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 19-23 732 ; Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-24.134 ; Soc., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-17.306, Soc., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.227) », et qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution.
Puis, afin de considérer que la QPC n’a pas à être transmise au Conseil constitutionnel puisqu’elle ne porte pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, donc n’est pas nouvelle, et qu’elle ne présente pas de caractère sérieux, la Cour de cassation développe l’argumentaire suivant :
« 9. En premier lieu, il est permis au législateur d’adopter des dispositions revêtant un caractère contraignant tendant à rendre effectif l’égal accès des hommes et des femmes à des responsabilités sociales et professionnelles et il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste conforme à l’article L. 2314-30 du code du travail, c’est-à-dire respectant la proportion de la part des hommes et des femmes dans le collège électoral considéré et devant comporter au moins un candidat au titre du sexe sous-représenté et que lorsque l’application des règles de proportionnalité et de l’arrondi à l’entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à cinq conduit, au regard du nombre de sièges à pourvoir, à exclure totalement la représentation de l’un ou l’autre sexe, les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues. Dès lors, en jugeant qu’en revanche, lorsque l’organisation syndicale choisit de présenter une liste comprenant un nombre de candidats inférieur au nombre de sièges à pourvoir, l’application de la règle de l’arrondi à l’entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à cinq provoquée par le nombre de candidats que l’organisation syndicale a choisi de présenter ne peut conduire, s’agissant de textes d’ordre public absolu, à éliminer toute représentation du sexe sous-représenté qui aurait été autrement représenté dans une liste comportant autant de candidats que de sièges à pourvoir, la disposition contestée telle qu’interprétée par la Cour de cassation est proportionnée à l’objectif de parité recherché par la loi et ne méconnaît ni la liberté syndicale ni le principe de participation des travailleurs.
10. En deuxième lieu, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Or la question prioritaire de constitutionnalité ne précise pas en quoi les dispositions de l’article L. 2314-30 du code du travail, telles qu’interprétées de façon constante par la Cour de cassation (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-60.222, publié), en ce qu’elles ne sont pas applicables aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles, affecteraient en elles-mêmes la liberté syndicale ou le principe de participation des travailleurs.
11. Enfin, le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’ égalité de traitement pour des raisons d’intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit, et les organisations syndicales qui bénéficient du monopole de présentation des listes de candidats au premier tour ne sont pas dans la même situation, au regard de la représentation équilibrée des femmes et des hommes, que les salariés qui présentent des candidatures libres au second tour des élections professionnelles ».
En d’autres termes, la Cour de cassation estime que la disposition contestée ne méconnaît ni la liberté syndicale, ni le principe de participation des travailleurs, ni le principe d’égalité.