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Preuve de la discrimination : contours de la possibilité d’ordonner la communication d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’autres salariés

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Dans un arrêt en date du 8 mars 2023 (n°21-12492, publié au Bulletin), la Cour de cassation est venue réaffirmer, au visa du RGPD, de l’article 145 du Code de procédure civile, des articles 6 et 8 de la CEDH, et des articles 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Par conséquent, la Cour de cassation approuve la décision des juges du fond qui ordonne à l’employeur de communiquer à l’un de ses salariés des bulletins de salaire d’autres salariés occupant des postes de niveau comparable au sien avec les occultations des données personnelles, à l’exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle et de la rémunération, après avoir relevé que cette communication d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’autres salariés était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de la salariée à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

En l’espèce, une salariée, occupant le poste de « Chief operating officer », avait été licenciée.

Considérant qu’elle avait subi une inégalité salariale par rapport à d’autres de ses collègues masculins ayant occupé des postes de « COO », l’ancienne salariée a saisi la formation de référé de la juridiction prud’homale sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, afin d’obtenir la communication d’éléments de comparaison détenus par ses deux précédents employeurs successifs.

Les deux employeurs ont formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris ayant fait finalement droit à la demande de la salariée.

Précisément, la salariée sollicitait la communication des bulletins de paie de 8 salariés, pour une période déterminée, avec occultation des données personnelles (numéro de sécurité sociale, adresse, domiciliation bancaire, arrêts maladies etc.), à l’exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillées et de la rémunération brute totale cumulée par année civile.

La Cour d’appel a ordonné la communication de ces éléments sous astreinte pour les deux employeurs.

Or, les deux employeurs, considéraient qu’une telle communication :

  • Portant atteinte au RGPD, alors que l’article 145 du code de procédure civile ne permet au juge que de prendre des mesures d’instruction légalement admissibles,
  • Que le seul droit à la preuve ne pouvait justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte à la vie privée des salariés concernés soit proportionnée au but poursuivi. Or tel n’est pas le cas lorsque le salarié est déjà en mesure de présenter des éléments de fait susceptibles de laisser présumer l’existence de la discrimination qu’il allègue.

La Haute Cour a rejeté le pourvoi ainsi formé, rappelant entre autre que :

  • le droit à la protection des données à caractère personnelles n’est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux suivant le principe de proportionnalité,
  • le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi,
  • il appartient au juge saisi d’une demande de communication de pièces sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, de rechercher si cette communication n’est pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de l’inégalité de traitement alléguée et proportionnée au but poursuivi et s’il existe un motif légitime de conserve ou d’établir une preuve avant tout procès, dont pourrait dépendre la solution d’un litige, et dans un second temps, si les éléments dont la communication est sollicitée sont de nature à porter atteinte à la vie privée d’autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit de la preuve et proportionnées au but poursuivi (au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées).

Aussi, la Cour de cassation a conclu :

« 9. La cour d’appel a relevé que, pour présenter des éléments laissant présumer l’existence de l’inégalité salariale alléguée entre elle et certains de ses collègues masculins, la salariée était bien fondée à obtenir la communication des bulletins de salaires de huit autres salariés occupant des postes de niveau comparable au sien dans des fonctions d’encadrement, commerciales ou de marché, avec occultation des données personnelles à l’exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée et de la rémunération brute totale cumulée par année civile.

10. En l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a fait ressortir que cette communication d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’autres salariés était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de la salariée à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail. »

 

La Cour de cassation s’est positionnée de façon similaire dans un arrêt rendu le 22 septembre 2021 (n°19-26144).

Aussi, il parait de plus en plus difficile d’opposer l’atteinte à la vie privée d’autres salariées lorsque, en matière de discrimination, un salarié sollicite la communication de bulletins de salaires d’autres salariés afin de constituer un panel de comparaison… Et ceci même avant tout procès au fond.

https://www.courdecassation.fr/decision/64085bce66b1bafb02f11fb0?search_api_fulltext=21-12492&op=Rechercher%20sur%20judilibre&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=cc&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=&nextdecisionindex=

 

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