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Organiser la reprise (2) : La question de la prise de température sur le lieu de travail

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Organiser la reprise (2) : La question de la prise de température sur le lieu de travail.

 

Par Paul CASENAVE, Avocat, MGG VOLTAIRE

 

Dans le contexte sanitaire actuel et dans l’optique d’une prochaine reprise d’activité, la question du contrôle de la température des salariés à l’entrée de l’entreprise se pose.

 

Avant toute considération juridique sur le sujet, rappelons que le Ministère des Solidarités et de la Santé, dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, recommande notamment de « surveiller sa température 2 fois par jour ». Le Gouvernement, dans un de ses nombreux « Questions/Réponses », précise qu’il convient de suivre « avec rigueur » cette recommandation dans l’hypothèse où l’on « vit avec un cas confirmé de Covid-19 » (https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus).

 

Pour sa part, le Ministère du travail indique que « la prise de température est une mesure préventive qui vise à écarter du milieu de travail des salariés qui auraient de la fièvre, dans la crainte d’une contamination » (https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/coronavirus-questions-reponses-pour-les-entreprises-et6les-salaries : « Coronavirus : Questions/réponses pour les entreprises et les salariés », dernière mise à jour en date du 11 avril 2020).

 

Néanmoins, le Ministère du travail rappelle que « la prise de température quotidienne de tous les individus à l’entrée d’une entreprise ne correspond pas aux recommandations du gouvernement », puisque cette mesure « n’atteint, prise seule, que partiellement l’objectif visé, puisque la température n’est pas systématiquement observée pour le Covid-19, d’une part, et qu’elle peut témoigner d’une autre infection, d’autre part ».

 

Les « limites » médicales à ce dispositif étant posées, le Ministère du travail conclut cependant désormais que « les entreprises, dans le cadre d’un dispositif d’ensemble de mesures de précaution, peuvent mettre en œuvre un contrôle systématique de la température des personnes entrant sur leur site ».

 

Selon le Ministère du travail, un tel contrôle ne pourrait s’inscrire que « dans le cadre d’un dispositif d’ensemble de mesures de précaution » (respect des gestes barrières, adaptation du lieu de travail, équipements de protection adaptés, renforcement des mesures d’hygiène etc.).

 

De plus, le dispositif de contrôle doit se conformer aux dispositions de l’article L. 1121-1 du Code du travail selon lequel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

 

Le contexte exceptionnel de la crise sanitaire serait probablement de nature à permettre de justifier cette mesure. En effet, l’atteinte portée aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives paraît en effet justifiée et proportionnée au but recherché : (i) prendre toutes les mesures possibles pour protéger la santé des salariés qui continuent à se rendre sur les lieux de travail, et (ii) limiter la propagation du Coronavirus.

 

Sur ce point, le Ministère du travail rappelle que les mesures de contrôle de la température doivent « être proportionnées à l’objectif recherché et offrir toutes les garanties requises aux salariés concernés tant en matière d’information préalable, de conservation des données que des conséquences à tirer pour l’accès au site ». 

 

Des exemples de « garanties » sont listés par le Ministère du travail :

 

« – la prise de mesure dans des conditions préservant la dignité ;

– une information préalable sur ce dispositif (règlement intérieur, note de service, affichage, diffusion internet) en particulier sur la norme de température admise et sur les suites données au dépassement de cette norme : éviction de l’entreprise, précisions sur les démarches à accomplir, conséquences sur ma rémunération, absence de collecte de mes données de température par l’employeur ;

– une information sur les conséquences d’un refus ».

 

Pour le Ministère du travail, ce n’est que « sous ces conditions », si le « salarié refuse la prise de sa température », que l’employeur « serait en droit de lui refuser l’accès de l’entreprise ».

 

Ces « garanties » appellent plusieurs observations.

 

1/ Tout d’abord, la question de la modification – ou non -, du règlement intérieur pour organiser le contrôle de température des salariés, se pose.

 

A cet égard, le Ministère du travail, aux termes de son « questions/réponses », précise que « dans le contexte actuel, ces mesures peuvent faire l’objet de la procédure relative à l’élaboration des notes de service valant adjonction au règlement intérieur prévue à l’article L. 1321-5 du Code du travail qui autorise une application immédiate des obligations relatives à la santé et à la sécurité avec communication simultanée au secrétaire du comité social et économique, ainsi qu’à l’inspection du travail ».

 

En somme, le Ministère du travail préconise d’appliquer la procédure accélérée de l’alinéa 2 de l’article L. 1321-5 du Code du travail – « lorsque l’urgence le justifie » – de modification du règlement intérieur.

 

Or, ainsi que nous l’indiquions déjà dans notre actualité du 14 avril (cf. « Organiser la reprise (1) : Comment faire respecter les mesures de prévention ? »), cette analyse n’est, selon nous, pas pertinente. L’article L. 1321-5 du Code du travail, alinéa 1er, prévoit en effet que ne peuvent être considérés comme des « adjonctions » au règlement intérieur que les « notes de services ou tout autre document comportant des obligations générales et permanentes dans les matières » relevant du règlement intérieur.

 

La procédure (accélérée ou non) de modification du règlement intérieur n’a donc pas obligatoirement à être suivie pour une mesure exceptionnelle qui, par définition, ne durera pas.

 

Il suffirait donc de procéder à une large diffusion (affichage, courriel, intranet, etc.) des instructions relatives aux mesures de contrôle de la température et à ses conséquences.

 

2/ Par ailleurs, les mesures de contrôle de la température doivent être conciliées avec la protection des données personnelles de santé des salariés.

 

A cet égard, la CNIL, dans ses « rappels sur la collecte des données personnelles » du 6 mars dernier, indique que « les employeurs doivent s’abstenir de collecter de manière systématique et généralisée, ou au travers d’enquêtes et demandes individuelles, des informations relatives à la recherche d’éventuels symptômes présentés par un employé/agent et ses proches »(https://www.cnil.fr/fr/coronavirus-covid-19-les-rappels-de-la-cnil-sur-la-collecte-de-donnees-personnelles).

 

La CNIL en déduit qu’ « il n’est donc pas possible de mettre en œuvre, par exemple, des relevés obligatoires des températures corporelles de chaque employé/agent/visiteur à adresser quotidiennement à sa hiérarchie ; (…) ».

 

Il convient donc de veiller à ne pas conserver les données au-delà de leur prise de connaissance (c’est-à-dire après la prise de température), ce qui devrait permettre d’écarter la qualification de « traitement de données » au sens du RGPD et de la loi informatique et libertés.

 

3/ En outre, les salariés qui se verraient refuser l’accès à leur entreprise, en raison d’un relevé de température supérieur aux standards – ce qu’il conviendra de définir -, pourraient-ils le « reprocher » à leur employeur ?

 

Un tel « reproche » pourrait être formé sur le terrain de la rémunération, d’une part, et sur celui de la discrimination, d’autre part.

 

Sur la rémunération des salariés contrôlés « fiévreux », non-autorisés à travailler et qui se verraient donc privés de la rémunération afférente, ces derniers pourraient opposer le caractère scientifiquement contestable de la décision, arguant notamment du fait qu’un relevé de température important n’est pas systématiquement observée en cas de contraction du Coronavirus et qu’elle peut témoigner d’une autre infection, non-transmissible.

 

Pour limiter les risques en la matière, les employeurs doivent inciter les salariés à consulter immédiatement un médecin afin d’obtenir un avis médical précis et pouvoir reprendre l’activité en toute sérénité ou, à défaut, être placé en arrêt de travail et être indemnisé à ce titre.

 

Quant à l’éventuelle discrimination, l’INRS soutient, dans une publication mise à jour le 9 avril dernier, qu’ « à ce jour, aucune recommandation médicale n’a été formulée par les autorités sanitaires pour permettre la réalisation de mesure de filtrage par température corporelle des personnes souhaitant entrer dans une entreprise », de sorte qu’ « en l’absence de recommandation ou de décision officielle, ces mesures préventives, qui conduiraient certains salariés à se voir refuser l’accès à leur entreprise en raison de leur état de santé, pourraient être considérées comme discriminatoires, susceptibles de sanctions pénales (articles 225-1 et 225-2 du Code pénal) » (http://www.inrs.fr/publications/juridique/focus-juridiques/focus-juridique-coronavirus.html).

 

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